Sans Valentin, ou l’avènement du « post-amour »

La Saint-Valentin est devenue un événement commercial et médiatique incontournable, servi par un cadre romantique bien marketé. Pour autant, comment croire encore à « l’amour-toujours » en 2023 ? Le couple post #MeToo traverse une zone de turbulences peu commune, et bien des certitudes amoureuses se trouvent remises en question. Je propose ici de d’explorer une nouvelle hypothèse : vivons-nous à l’ère du « post-amour » ?

Notre époque a accouché du « post-amour », hybride sentimental et sexuel d’un genre nouveau. « Post-amour » ? La nouvelle forme du sentiment amoureux, caractérisé par la fin des certitudes et des idéaux qui ont défini l’amour comme récit majuscule de l’Occident, aux origines mythologiques et religieuses, romanesques et morales. Le « post-amour » est surtout un sentiment ressenti par celles et ceux vivant l’amour tout en hésitant sur ses formes, son genre, son avenir. Il est transitoire, flexible, désillusionné. Il est clair qu’il percute de plein fouet la Saint-Valentin, ses clichés, son business sulpicien et son romantisme mièvre.

Ce « post-amour » fait son lit dans le terreau de l’individualisme, de la judiciarisation des rapports de genres, de la nouvelle guerre des sexes et de la « confusion des sentiments » caractérisant l’époque.

Le « post-amour », valse-hésitation et « rêve party »

Le « post-amour » c’est l’avènement de cette valse-hésitation, sur fond de « je t’aime moi non plus » et de « Fuir le bonheur avant qu’il ne se sauve » selon les chansons-prophéties de Gainsbourg ; ou encore de la sublime « Brandt rhapsodie », fredonnée par Benjamin Biolay et Jeanne Cherhal. Leur duo, en forme de slam entêtant, raconte une histoire d’amour – rencontre, passion, désamour et séparation – sur fond de Post-its collés de-ci de-là, et montre combien le langage trahit nos affects. En clair, tout est bien qui finit mal. Les Rita Mitsouko nous avaient prévenus : « les histoires d’amour finissent mal, en général… ». C’est un amour mis à distance, disséqué, analysé, théorisé, espéré, détesté, autant qu’espéré, secrètement. Combien de séries, de films, de pièces de théâtre, de spectacles de stand up ont fleuri depuis une vingtaine d’années sur le thème « c’est compliqué ».

Dans son essai La fin de l’amour, la sociologue Eva Illouz propose la notion féconde de « relations négatives », pour caractériser ces histoires avortées dès leur genèse. Rangeons-y ces couples qui secrètent les conditions de la rupture très vite, entre ressentiment, hypersensibilité, exigences trop élevées et fatalisme voire cynisme assumé. Elles sont pléthore, « ces relations négatives » voyant leurs protagonistes saborder consciencieusement ce qui aurait pu donner « quelque chose de bien ensemble », mais qui s’avère mort-né. Car des pressions convergentes sabotent le couple, le font imploser de l’intérieur, en mode Blitzkrieg, ou de guerre lasse. En tout cas, selon Illouz toujours, « elles n’évoluent pas vers une forme sociale stable mais sont appréciées pour leur caractère éphémère et transitoires : elles sont pratiquées malgré les pertes et les souffrances qu’elles provoquent ».

Récit de soi et réflexivité

Saint-Valentin ? Pensons-en ce jour aux millions de célibataires, pour qui l’amour est un espoir, mais le couple un repoussoir. Et sont désormais régulièrement de retour sur le marché du célibat des individus qui, auparavant, seraient restés unis, puisque leurs relations étaient cimentées par les institutions et les conventions.

Internet et les applis constituent en fait un immense second marché de la rencontre, le rendez-vous des naufragés du cœur et des parcours de vie compliqués qui aspirent à (se) reconstruire, en se recomposant. Ou « à s’éclater » en cumulant.

Sur le « Net sentimental », on parle énormément de ses peines, de ses déceptions, de ses blessures, et bien sûr, de ses espoirs. Finalement, on s’y raconte bien plus encore qu’on ne s’y rencontre. Sur les sites de rencontre, on parle beaucoup et l’on écrit plus encore. Cet espace est tout à la fois un exutoire, un atelier d’écriture collectif, le refuge des « obsédés textuels » qui jettent là l’encre permettant de fixer un peu l’expérience intime de leurs dérives, de leurs naufrages,…

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Auteur: Pascal Lardellier, Professeur à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, Chercheur au laboratoire CIMEOS, Université de Bourgogne – UBFC