Scandale du chlordécone : aux Antilles, « le parcours du combattant » des malades

Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe), reportage

Sa cicatrice au ventre est équivoque. Peut-être peste-t-elle aussi contre le pesticide. Sous le soleil de Capesterre-Belle-Eau, dans le sud-est de la Guadeloupe, Élin Jaffard détaille sa ventriloquie involontaire. « Je suis diminué depuis l’opération, je ne peux même pas soulever plus de 15 kilos. J’ai des douleurs, et ma cicatrice au ventre gonfle de temps en temps. Ça ronfle, comme s’il y avait de l’air. Quand c’est calme, quelqu’un assis à côté de moi peut l’entendre », dit l’ancien ouvrier agricole de 56 ans. L’homme aux lunettes noires a été opéré d’un cancer de la prostate en 2019. Comme Tiburce Cléon, approchant les 67 ans, ouvrier de bananeraies de 1972 à 2020 dans la plantation Maleneck au lieu-dit Saint-Denis. Et opéré de ce même cancer l’année passée. Une pathologie qui touche sévèrement les Antilles.

Avec 227,2 cas sur 100 000 hommes chaque année, la Martinique détient le « record » du monde de cancer de la prostate selon une étude publiée dans la revue International Journal of Cancer en 2019. Les chiffres de la Guadeloupe sont proches. Pour les deux travailleurs, le responsable de leur cancer est le chlordécone. « Et les coupables sont les patrons qui l’ont acheté, et l’État qui l’a autorisé », disent-ils.

Bananier en Guadeloupe, en 2011. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Asram

Ce pesticide a été utilisé massivement dans les plantations de bananes antillaises entre 1972 et 1993, vanté par les producteurs de bananes comme le tueur du charançon, insecte qui détruisait les cultures. Interdit dès 1990 en métropole, le produit a continué d’être utilisé aux Antilles du fait de deux dérogations successives émises par le ministère de l’Agriculture.

Le 22 décembre dernier, Élin Jaffard et Tiburce Cléon ont appris la nouvelle : un décret publié au Journal officiel reconnaît désormais comme maladie professionnelle les cancers de la prostate liés à l’exposition aux pesticides dans le cadre du travail. Accompagnés par la CGT Guadeloupe (CGTG), les deux hommes ont envoyé sans enthousiasme leur dossier début janvier, sans trop y croire. « Quand j’ai entendu ça, j’ai pas sauté de joie, précise Élin Jaffard. Cette annonce, c’est pour calmer notre colère. »

Élin Jaffard a été opéré d’un cancer de la prostate en 2019. © Romuald Gadegbeku/Reporterre

« Je me suis évanoui trois fois »

Ce matin-là, les deux hommes voient la pluie chaude relayer le soleil. « Dans les…

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Auteur: Romuald Gadegbeku Reporterre