Toutes les tables sont dressées dans la salle du restaurant de l’hôtel qui surplombe la ville de Mirleft. Il n’y a pourtant que 6 clients : quatre amis à peine arrivés et un couple d’habitués qui n’en sont pas à leur premier dîner. Entre deux banquettes, sur une petite table en céramique, est posée une lampe. Son pied est un minaret miniature en terre cuite en haut duquel est fixé un abat-jour en toile de lin claire. Une sorte de bobo-blasphème, me dis-je en m’asseyant auprès de mes trois compères. Le lieu est un ancien fort militaire qui a été totalement réaménagé par un Français installé depuis une vingtaine d’années au Maroc. À l’écart du tumulte de la ville, seuls les oiseaux y tourmentent les oreilles.
Larsen, le maître de maison, dépose devant nous des plats colorés : petits pois du jardin, poivrons marinés, écrasé de fèves, courgettes farcies aux tomates, aubergines rôties au ras el hanout. Nous versons l’huile trouble sur le batbout que la cuisinière a juste sorti du four. L’odeur de l’olive pressée sur le pain chaud nous réconforte après plusieurs jours de marche dans l’Anti-Atlas. L’ancien fort est un havre de paix. Toute son architecture nous enveloppe comme une couverture et nous suspend hors des petits désagréments propres à tout voyage. De l’autre côté de la salle, le couple de cinquantenaire réclame une seconde bouteille de rouge que Larsen s’empresse d’aller chercher. Cela fait 17 ans qu’il travaille ici, mais presque toute sa vie qu’il fréquente l’endroit. Avant d’être un hôtel, le fort était une école primaire et avant l’école, une prison. Larsen y avait appris à compter et son père, encore jeune homme, y avait été retenu. Lorsqu’il revient avec la bouteille d’alcool, le couple a engagé la conversation avec nous. « Ha c’est votre première fois ici ? Vous allez voir, tout est impeccable, le service, les chambres… Vous aimez le surf ? », nous demande l’homme légèrement ivre. Sans…
Auteur: dev