« Se désigner simplement comme intellectuel, c’est se déclarer possesseur d’une intelligence différente et supérieure aux autres. Pour moi, c’est la définition même de la bêtise, croire que l’on représente l’intelligence. » – Entretien avec Jacques Rancière

La Haine de la démocratie, Le Maître ignorant, Le Philosophe et ses pauvres, La nuit des prolétaires… Les travaux du philosophe Jacques Rancière, qui publie actuellement Les mots et les torts chez La Fabrique, ont beaucoup inspiré la rédaction de Frustration, dès la création du magazine en 2013. En ces temps de crise sanitaire et sociale, il aura rarement été autant question de lutte de classes, d’élites déconnectées et arrogantes et d’une bourgeoisie politico-médiatique qui prétend pouvoir parler au nom des classes laborieuses. S’entretenir avec Jacques Rancière tombe ainsi sous le sens… Philosophe relativement allergique aux « médias mainstreams », celui-ci n’a pas la prétention de se considérer comme un « intellectuel », mais plutôt comme un humble chercheur. Entretien, par Selim Derkaoui et Nicolas Framont. 

S’il y a bien un concept qui revient souvent dans vos écrits, c’est celui « d’égalité des intelligences ». Pouvez-vous le définir pour nos lectrices et lecteurs qui ne vous connaissent pas forcément ? 

L’égalité des intelligences, c’est une idée qui a été avancée il y a près de deux siècles par le grand penseur de l’émancipation intellectuelle Joseph Jacotot, auquel j’ai consacré mon livre Le Maître ignorant. Cela ne veut pas dire que toutes les productions de toutes les intelligences se valent. Cela veut dire qu’il n’y a pas une forme supérieure et une forme inférieure d’intelligence. L’intelligence est fondamentalement la même dans toutes ses opérations. Ce n’est pas une vérité qu’il affirmait ainsi. C’était un principe qu’il demandait à chacun de prendre comme guide de son action, une hypothèse qu’il devait s’efforcer de vérifier. On parle, on écrit, on communique, on écoute, on répond dans l’idée qu’on s’adresse à des êtres égaux, des êtres capables de nous comprendre parce qu’ils sont pourvus de la même intelligence.  Ça s’oppose radicalement à la vision dominante qui identifie la hiérarchie sociale au gouvernement des plus capables mais aussi à ces pédagogies de bonne volonté qui prétendent « réduire les inégalités » en prenant l’enfant ou le peuple par la main pour le conduire pas à pas vers l’égalité. Ces pédagogies reproduisent sans fin l’écart qu’elles prétendent combler. C’est pourquoi il appelait à un renversement radical : prendre l’égalité non pas comme un but à atteindre, mais comme un point de départ ; partir non de ce que les gens ne peuvent pas,…

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Auteur: Selim Frustration Mag