Servitude et culpabilité

Victor Müller . — « Ausgestreckter rechter Arm eines männlichen Aktes » (Bras droit tendu d’un nu masculin), avant 1871.

Une phrase de Primo Levi m’a longtemps paru surprenante. Elle concerne les SS, notamment ses anciens gardiens : « Sauf exceptions, ce n’étaient pas des monstres, ils avaient notre visage, mais ils avaient été mal éduqués. »

J’ai commencé à comprendre cette phrase quand j’ai lu le livre où Sebastian Haffner évoque sa jeunesse, au temps de l’Allemagne nazie. Il raconte ainsi que, lors d’une réunion de SA (Sturmabteilung), après avoir entendu Hitler tonitruer à la radio, tous ses camarades avaient levé le bras. Il avait fait de même en pensant : « Cela ne compte pas, ce n’est pas moi… Et, animé de ce sentiment, je levai le bras moi aussi. ». « C’était un jeu et je jouais ce rôle. » « On dit que les Allemands sont asservis… Ils sont quelque chose de pire, pour quoi il n’existe pas de mot ». Le piège que le psychanalyste Didier Anzieu nommera « l’illusion groupale ».

Lire aussi Nicolas Patin, « Ils ont parié sur Hitler », Le Monde diplomatique, septembre 2024.

Quel rapport avec la « mauvaise éducation » qu’évoquait Primo Levi ? Hasardons ici une hypothèse. « On refoule l’enfant comme on respire », disait le psychanalyste Nicolas Abraham. Le bras qui, dans le cas de Haffner par exemple, s’était levé, aurait-il été un bras oublié, celui d’un revenant, son bras d’enfant ? L’enfant ancien qui, pris dans le récit de ses parents, devait obéir pour continuer d’être aimé ? Haffner était, affectivement, incarcéré dans l’histoire que se racontait le groupe auquel il appartenait. Piégé sans le savoir dans un très ancien récit, prisonnier d’un rôle.

Là est le tour d’illusion qu’il est essentiel de démonter pour être capable de le déjouer. Car ce rôle était en réalité,…

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Auteur: Max Dorra