Seul face à l'art, entre les ruines de la culture

Il y a plusieurs années, alors que je commençais à faire de la mise en scène et qu’un théâtre m’avait sollicité pour donner un workshop, j’avais imaginé un projet intitulé Réduire l’offre. Ironique, le titre était moins un mot d’ordre qu’une tentative éperdue pour enrayer une offre culturelle qui m’apparaissait comme exponentielle et porter un coup d’arrêt à cette inflation d’ateliers, de stages, dont l’objectif me semblait être de « faire faire quelque chose aux gens », c’est-à-dire de les occuper, les sensibiliser, les divertir au sens étymologique du terme (les détourner de l’ennui).

Alors, j’avais pris le contrepied de cette tendance et proposé à un petit groupe de se réunir pour ne rien faire, dormir, rêver, ce qui ne manquait pas de questionner chacun sur le dispositif culturel dans lequel il était pris et qui le transformait inexorablement en « amateur » ou en « bénéficiaire ». À cette époque, il me semblait aussi qu’on commençait à tracer une ligne de démarcation très problématique entre la création artistique, jugée élitiste et peu rentable, et des actions culturelles soi-disant « populaires », « démocratiques », et grâce auxquelles le public serait enfin « actif ».

Plus tard, à l’invitation du Centre d’art contemporain de Brétigny, j’ai tenté d’aller un peu plus loin. Je venais de lire Asphyxiante culture (1968) de Jean Dubuffet. Je ne sais pas si ce livre a changé ma vie mais il a profondément modifié le regard que je portais sur la culture, mon milieu professionnel. À la fin de son essai, Dubuffet imaginait des « gymnases nihilistes », « instituts de déculturation » où serait proposé « un enseignement de déconditionnement et de démystification » culturelle. De divagations en rêveries, j’ai voulu le prendre au mot et voir s’il était possible de réaliser son souhait. Ainsi, j’ai proposé à des metteurs en scène de soumettre un de leurs projets en cours, non à des directeurs de théâtre susceptibles de les produire et les diffuser, mais à une assemblée de spectateurs éclairés (le « gymnase nihiliste ») qui serait chargée de les expertiser et d’en annuler un. Toute une logique culturelle était ici inversée puisque l’expertise n’était plus élaborée par des professionnels mais des spectateurs et qu’elle ne visait plus à faire exister un projet mais à le suspendre. Autrement dit, en soustrayant un spectacle aux regards et en le laissant à l’état de projet, de rêve, j’essayais…

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Auteur: lundimatin