Sexualité : la débauche, une invention antique ?

On trouve beaucoup d’histoires de débauche chez les auteurs antiques, grecs et latins, qui mettent en garde les hommes réputés libres et civilisés contre les dangers qui les menacent, qu’il s’agisse d’excès de vin, de nourriture ou de sexe. Mais la notion de débauche correspond toujours à un regard moral et subjectif. Elle comprend tout ce qui est réputé socialement incorrect à une certaine époque, c’est-à-dire une série de vices réels ou supposés : l’adultère, la prostitution, ou encore des pratiques sexuelles comme la sodomie ou le cunnilingus – le tout sur fond de société patriarcale.

Le terme cunnilingus provient du latin cunnus qui désigne le sexe féminin et du verbe lingere « lécher ». Il désigne étymologiquement un « léchage de vulve ». Cette pratique sexuelle était généralement vue dans l’Antiquité comme répugnante et lourde de conséquences pour l’homme qui avait le malheur de s’y complaire.

Quand Ariphradès « travaille avec sa langue »

Au Ve siècle av. J.-C., l’auteur comique grec Aristophane évoque le cunnilingus à plusieurs reprises dans ses pièces de théâtre. C’est un acte dégradant consistant à glôttopoiein, c’est-à-dire à « travailler avec sa langue » un sexe féminin. L’inventeur en serait un certain Ariphradès, poète dont se moque Aristophane. « Il a inventé une nouvelle forme de vice, il souille sa langue par des plaisirs abominables, en léchant dans les bordels la rosée dégoûtante, en salissant sa barbe. […] Qui ne vomit pas devant un tel homme ne boira jamais avec nous à la même coupe », écrit l’auteur dans sa comédie, Les Cavaliers (vers 1283-1289), représentée à Athènes en 424 av. J.-C.



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Le même Ariphradès apparaît à nouveau, deux ans plus tard, dans Les Guêpes. Il est décrit comme le lécheur qui « fait travailler sa langue chaque fois qu’il entre dans un bordel ». La « rosée » des vulves se réfère aussi, de manière parodique, à l’inspiration poétique : Ariphradès ne peut composer que des œuvres infâmes, puisque ce n’est pas un fluide divin, envoyé par les dieux, qui anime son esprit créateur, mais le liquide le plus impur qui soit, selon Aristophane.

Le « cochon » et son « épine »

On retrouve plus tard cette même dépréciation de la vulve chez le poète grec Nicarque (Anthologie grecque XI, 329), auteur d’épigrammes satiriques, au Ier siècle apr. J.-C. L’auteur s’adresse à un certain Démonax, nouvel adepte du cunnilingus, comme Ariphradès cinq siècles plus tôt. « Démonax, ne baisse pas toujours les yeux, cesse de faire plaisir à ta langue. Le cochon a une redoutable épine. Et tu vis et tu dors en Phénicie ».

Le cochon (khoïros), terme argotique désignant la vulve, souligne l’obscénité supposée des parties génitales féminines. L’épine (akantha) représente le clitoris comme un petit pénis qui constitue une menace pour les lèvres de l’homme. Quant à la Phénicie, le Liban actuel, c’est une région associée à la teinture pourpre, de couleur rouge violacée, qui y était extraite d’un mollusque et commercialisée. Elle évoque le sang des règles s’écoulant du vagin, de même que la teinture ruisselle des entrailles du mollusque. À nouveau, comme chez Aristophane, mais de manière encore plus crue, la vulve est décrite comme une partie polluée et sanguinolente, vectrice d’impuretés.

À travers cette description se profile une mise en garde pour les hommes qui seraient tentés par le cunnilingus : ils risquent de compromettre leur virilité au contact de cet affreux égout.

« Satyre satisfaisant une nymphe », tableau d’Arthur Fischer, 1900.

Une souillure indélébile

Les Romains reprirent à leur compte ce type de représentations. L’historien latin Suétone raconte que l’empereur Tibère (14-37 apr. J.-C.) aimait pratiquer le cunnilingus. Une turpitude dévastatrice pour Tibère lui-même, car l’homme lécheur de vulves non seulement se dégrade socialement mais contracte aussi une forme de souillure indélébile.

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Auteur: Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine