Sobriété énergétique : un marché de quotas de l’énergie peut-il apporter des solutions ?

Guerre en Ukraine, tensions géopolitiques, réacteurs nucléaires à l’arrêt… De nombreux éléments convergent pour générer de fortes incertitudes quant à l’hiver qui se fait sentir. Aurons-nous assez d’énergie pour satisfaire toutes les demandes ? Un mot se trouve sur toutes les lèvres : « sobriété ».

Début octobre, le gouvernement français a présenté un plan de sobriété énergétique qui se donne pour objectif de réduire la consommation intérieure de 10 % d’ici 2024 afin d’éviter les coupures. La campagne de communication « je baisse, j’éteins, je décale » a été lancée dans la foulée.

Il n’y aura, certes, pas de « police des températures », martèle le gouvernement, pour vérifier que chacun, ménages comme entreprises, joue le jeu. Toutefois, si coupure il doit y avoir, qui pénaliser en priorité ? L’enjeu de l’information est primordial sur ces questions : comment savoir qui fournit les efforts ?

Face à ces enjeux, Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie, proposait le 29 août dernier la mise en place d’un marché de quotas de l’énergie de gré à gré. Cet instrument est bien connu des économistes depuis les contributions des professeurs Thomas Crocker et John Dales dans les années 1960 pour lutter contre la pollution. L’idée a, semble-t-il, depuis été écartée, mais la discussion ne semble pas dénuée d’intérêt. Nos travaux de recherche en économie de l’environnement permettent d’en interroger la pertinence en termes de justice sociale et d’efficacité.

Justice sociale ou efficacité ?

Au premier abord, la demande de réduction de la consommation d’énergie de 10 % aux entreprises peut paraître légitime. On peut imaginer que les coupures à venir concerneront en priorité les entreprises non respectueuses de l’objectif, ce qui reviendrait à punir les mauvais élèves. Toutefois, ce raisonnement semble un peu trop rapide. Il ne prend notamment pas en compte l’hétérogénéité entre les entreprises.

Nombreuses sont en effet celles qui ont déjà, par le passé, réduit leur consommation d’énergie et même obtenu des performances environnementales au-delà des mesures indiquées par l’État. L’objectif de 10 % de réduction sera ainsi plus facilement atteint par les entreprises qui n’ont jusqu’alors réalisé aucun effort de sobriété énergétique et plus difficilement pour celles qui sont déjà les plus vertueuses. En résumé, cette politique, qui consiste à considérer de façon uniforme des entreprises différentes, peut être considérée comme injuste, et assez coûteuse à respecter.

De même, de nombreux fournisseurs d’énergie ont déjà annoncé la mise en place de « bonus sobriété », récompensant les réductions de consommation d’énergie cet hiver ou le report de consommation des périodes de pics vers les périodes creuses. Le gouvernement français réfléchit aussi à financer de tels bonus, finançant ainsi l’incitation à la réduction d’énergie collectivement via le budget de l’État. Si ces moyens peuvent s’avérer efficaces à éviter les coupures, ils récompenseront certainement les agents qui, jusqu’à présent, étaient les plus énergivores.

Une façon de considérer la justice sociale serait de prendre en compte le comportement passé des agents pour différencier les objectifs. Il s’agirait de fixer un objectif réduit ou d’exonérer celui qui a déjà réalisé des efforts. Cette solution peut toutefois se heurter à l’impératif d’efficacité économique, qui impose de demander davantage d’efforts à ceux qui ont le plus de facilité à réaliser des économies d’énergie.

Quel que soit l’objectif retenu – efficacité ou justice sociale – le régulateur va se heurter à un problème d’information. Comment distinguer les entreprises vertueuses des autres ? Comment identifier les entreprises qui peuvent réaliser des efforts à faibles coûts ?

Justice sociale et efficacité : un marché de quotas de l’énergie

C’est à solutionner cette problématique que la proposition du ministre Roland Lescure aurait pu participer. L’idée de quotas de l’énergie transférables permettrait effectivement de prendre en compte l’hétérogénéité des entreprises, en évitant l’épineuse question du recueil d’information.

Expliquons le mécanisme. L’État fixe l’objectif…

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Auteur: Sonia Schwartz, Professeur des universités en sciences économiques, Université Clermont Auvergne (UCA)