Spinoza, penseur de la liberté bourgeoise

Dans ce texte de 1978, inédit en français, le grand théoricien marxiste Ernest Mandel souligne le caractère révolutionnaire, en son temps, de la philosophie de Spinoza.

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Baruch Spinoza, héraut de la liberté de religion et de croyance, fervent défenseur de la liberté d’opinion, d’expression, de l’imprimerie et de l’éducation, défenseur résolu de la liberté d’établissement et de commerce, ainsi que partisan de l’armement général du peuple : sans aucun doute, Spinoza fut dans pratiquement tous les domaines de la vie sociale le précurseur du libéralisme moderne. On a même dit de lui qu’il était le premier penseur politique moderne à se dire démocrate, à exprimer ouvertement sa préférence pour la forme démocratique de l’État.

Ses œuvres politiques, le Tractatus Theologico-Politicus et le Tractatus Politicus, semblent pourtant marquées par une profonde contradiction. De nombreux auteurs considèrent ces ouvrages comme un compromis entre, d’une part, la proclamation de la souveraineté suprême, presque illimitée, d’un État absolu, semblable à celui du Léviathan de Hobbes, et, d’autre part, l’accent mis sur les droits individuels tels qu’ils seront développés plus tard par les penseurs français révolutionnaires de la seconde moitié du XVIIIe siècle, comme Jean-Jacques Rousseau. Ces auteurs soulignent le devoir d’obéissance à toute autorité étatique prôné par Spinoza. Certains vont jusqu’à le qualifier d’adversaire déclaré de la pensée subversive, voire de penseur et d’homme politique anti-révolutionnaire.

Il ne fait aucun doute que l’on peut trouver dans les écrits de Spinoza des passages qui permettent les deux interprétations. Mais y a-t-il une réelle contradiction entre ces deux séries de vues et d’opinions ? Spinoza est-il en un certain sens un penseur schizophrène ? Compte tenu de la stricte logique de pensée qui caractérise toutes ses œuvres, cette thèse est peu crédible. Il est difficile d’imaginer que Spinoza lui-même n’aurait pas vu ces contradictions. Il faut donc tenter d’expliquer ces contradictions et se demander s’il n’y a pas une cohérence sous-jacente plus profonde. En d’autres termes : s’agit-il de contradictions réelles ou apparentes ? Spinoza est-il ou non un défenseur cohérent de la liberté bourgeoise, de la liberté du citoyen et de l’individu bourgeois ?

Je connais deux tentatives jusqu’à présent pour démêler le nœud compliqué de la relation apparemment contradictoire de Spinoza avec la liberté…

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Auteur: redaction