Stage de troisième et lutte des classes

Février 2003 : un vent glacial souffle dans les rues au tracé géométrique de Rochefort-sur-Mer et je me rends au premier jour de travail de ma vie. Pour mon stage de troisième, devenu obligatoire cette année-là, j’ai choisi une boutique de photocopies. Le patron, un sexagénaire qui passera la majeure partie de mon stage à pontifier sur le mal que « les assistés, les glandeurs et les arabes » font à la Nation, est une connaissance de mes parents, commerçants rochefortais. Le choix est donc tout relatif. Pour le coup, le stage est une réussite : je m’ennuie profondément, j’ai des pics de stress quand trop de travail se présente, j’ai l’impression d’être prisonnier, je déteste mon chef : cela correspond parfaitement à ma vie professionnelle telle qu’elle s’est déroulée plusieurs années après cette entrée en matière.

Stages pour prolos, stages pour bourgeois

De retour au collège, le lundi suivant, je ne peux que me rendre à l’évidence : nous n’avons pas tous eu la même semaine. Certain.e.s ont eu moins de chance que moi, en stage dans le BTP avec un oncle ou un ami des parents, à roupiller dans le service compta d’une usine ou encore à aider au service d’un bar PMU. Mais Cédric S., fils de cadres chez Airbus, avait lui dégoté un stage dans un laboratoire de recherche où il avait passé sa semaine entouré par une équipe aux petits soins, à réaliser des expériences sur des plantes aquatiques, des têtards, des poissons etc. Il revenait de sa semaine dans le Monde du Travail avec le même air réjoui que de son séjour au ski quelques semaines plus tôt.

Double effet formateur du stage de 3e : on y apprend à la fois la rudesse du monde du travail mais aussi l’injustice totale de nos destins sociaux. Car en effet, nuls mérite, effort ou compétence exceptionnelle ne justifiaient le séjour enchanté de Cédric S. et les journées d’ennui vécues par mes autres camarades et moi-même : seul le réseau de nos parents, également appelé Capital social par le sociologue Pierre Bourdieu, expliquait cette différence. Et continue d’expliquer le fait que les prolos font des stages de 3e de prolos et les bourgeois des stages de 3e de bourgeois. Le stage de 3e nous rappelle non seulement qu’à 15 ans, tout est plié, mais qu’en plus, ce que la classe dominante va appeler mérite, effort et talent ne sera rien d’autre que le lieu de notre naissance. Déso les enfants, vos profs d’éducation civique vous mentent depuis la 6e !

Ce n’est pas pour autant que chaque…

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Auteur: Rédaction Frustration Mag