Sur Chant Balnéaire, d'Oliver Rohe

« À la guerre toujours charpentée par des événements ou des batailles ou des exploits, Olivier Rohe oppose le quotidien trempée par elle ; à la guerre présentée comme une fabrique de héros ou de salauds, celui qui a grandi au Liban entre 1972 et 1990 oppose l’ordinaire de la guerre, et comment la peur infiltre le moindre geste, chaque segment du quotidien, jusqu’à la rendre méconnaissable, impossible à nommer, jusqu’à empêcher qu’on pense hors d’elle. »

Catch 22 a été publié en 1961. Curieusement c’est un chef d’œuvre, un best seller et un livre discret. Dans une note ouvrant la traduction française, l’éditeur a recopié une accroche trouvée dans un article américain, que j’ai d’abord jugée grotesque : « Si Dante revenait sur terre en compagnie de Kafka, ce qu’ils pourraient écrire en collaboration ressemblerait sans doute à Catch 22. » Deux cents pages plus tard – le roman en compte cinq cents bien tassées –, j’étais convaincu ; c’était effectivement l’altitude à laquelle se situait l’œuvre, en quelque sorte. En racontant la vie d’une escadrille américaine basée en Sardaigne en 1943, censée bombarder l’Italie fasciste de manière à faciliter la progression des troupes américaines au sol, Joseph Heller montrait l’effroi devant la mort non du point de vue des populations bombardées mais de celui des soldats américains oeuvrant à libérer l’Europe. En inversant ainsi le regard, le romancier accomplissait un geste rare. Si la victime d’un conflit militaire est traditionnellement celle que l’on montre terrorisée à l’idée de mourir, quand le soldat irait, lui, au devant d’elle, il aura fallu un certain courage pour montrer l’aviateur affolé par son pouvoir de mort.

Ce geste littéraire supposant une force peu commune, Oliver Rohe l’a réalisé, lui aussi, avec Chant balnéaire, que les éditions Allia ont publié en janvier. Ses cent cinquante pages ne payent pas de mine pourtant. C’est que l’exploit est ailleurs : dans le renversement d’habitudes ancrées, métabolisées ; à la guerre toujours charpentée par des événements ou des batailles ou des exploits, l’écrivain d’expression française oppose le quotidien trempée par elle ; à la guerre présentée comme une fabrique de héros ou de salauds, celui qui a grandi au Liban entre 1972 et 1990 oppose l’ordinaire de la guerre, et comment la peur infiltre le moindre geste, chaque segment du quotidien, jusqu’à la rendre méconnaissable, impossible à nommer, jusqu’à…

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Auteur: dev