Sur le désir de casser le temps

Pourquoi la vie confinée à sa temporalité biologique (le temps du travail, le cycle de la dépense et de la réplétion, de l’épuisement et de la consommation), est-elle au sens strict invivable ? Pourquoi ne peut-on s’y maintenir sans désirer la briser ? Nous n’avons pas d’autre choix que d’admettre ceci : nous vivons d’une double vie. Derrière le désir biologique de multiplication, se cache une pulsion tout autre. Celle-là n’aspire pas au mouvement. Elle refuse absolument (sans raison, par un impératif catégorique) le cycle de la vie biologique et tente de lui substituer, dans des instants hétérogènes à la temporalité « quotidienne » de la conscience, une dépense improductive qui rompt avec le temps de la rentabilité (de l’urgence, de l’accélération, du présent coercitif de la valeur). Il y a une impuissance radicale de notre société à ramasser cette temporalité hétérogène dans celle de la rentabilité.

C’est dans la vie profonde, « l’arrière-vie » de la biologie, qu’il faut chercher, dans une structure infiniment plus LENTE que l’histoire, sinon éternelle, l’origine du « c’en est assez » proprement révolutionnaire. Là où la vie biologique aspire sans cesse à se reproduire et se distend dans le travail, dans la production, pour se retrouver dans la récompense, le repos et l’interaction sociale, cette autre vie, la vie maudite, veut dilapider les efforts de la première et dépenser sans compter : ses lieux sont l’amitié, l’amour réel, la religion, mais aussi l’émeute, le soulèvement, une certaine pensée philosophique, une certaine « littérature ». La dissolution de tout mouvement, voilà son « objectif ». N’est-ce pas cette vie-là, dans le fond, que nous jugeons proprement vivante, dans laquelle nous trouvons l’essence même de la vitalité ? La vie biologique peut bien se satisfaire entièrement… demeure encore ce « reste » inassimilable, hétérogène : désir d’ex-stase, de don, de dépense improductive, de destruction, désir d’échapper au mouvement – désir d’une altérité qui excède l’être extorqué et son royaume (l’accélération, l’identité, la sécurité triste du SUV). Sans doute faut-il souffrir d’une grande détresse pour affirmer que cette vie-là n’est pas la vie et la rabattre sur une pulsion de mort. Ce genre d’affirmation pressent bien la vérité, l’irréductible altérité de la vie vraie à l’égard du cycle biologique que le capitalisme épuise et transforme en mort. Elle ne…

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Auteur: dev