Sur un air de fado – Barral

Ce qu’on demande à une bande dessinée, c’est que le dessin vous conduise seul dans l’histoire. Quelques mots ici, des dialogues entre des personnages mais par pitié pas de montagnes de descriptions, et de textes pour dire l’horreur du monde. Barral réussit cette histoire d’un médecin sans histoires sous la dictature portugaise de Salazar avec des cadrages astucieux et des couleurs d’époque.

Dans le pays de pierre dont Antunes écrit à son prochain retour qu’il a « ces automnes de pluies et de messes, ces longs hivers dépolis comme des ampoules grillées ». La lumière y est pourtant splendide sous la lune de Lisbonne, on y boit un vinho verde pendant que la PIDE ( La police politique) arrête des opposants communistes. On mange des escargots dans une taverne avec des étudiants qui veulent gouter à la démocratie en 1958. Ils vont tâter des geôles et des coups. Sentir la gifle de Pessoa et de ses hétéronymes. Il y a le secret de l’exil pour une génération portugaise dans cet ouvrage nostalgique et douloureux. Il y a l’histoire de deux frères que tout oppose. En prime, toutes les questions sur l’engagement politique. Et surtout le souffle généreux d ‘Antonio Lobo Antunes qui parcourt tout le texte mais qui n’est pas dit. Ce personnage de médecin issu de la bourgeoisie souffre aussi de cet interminable corset qu’est le régime qu’inflige Salazar au Portugal. 40 ans d’Estado Novo. Les voix intérieures franchissent les rues de Lisbonne et des dialogues du passé heurtent le présent. Dans « Le cul de Judas », Antunes appelé en Angola comme médecin raconte les détails du corps et du corps souffrant de la solitude. Il raconte la masturbation et l’horreur de l’amour empêché : « vouloir faire l’amour et ne pas savoir avec qui ». Il raconte la lâcheté et la complaisance devant la torture. Chez Barral, le médecin s’était fait la promesse de ne plus réagir face à la dictature. Mais l’amour va le pousser à enfreindre cette promesse. Pourtant Antunes écrivait : « Nous avons déjà trop vécu pour courir le risque idiot de tomber amoureux. » Ni des femmes ni de la démocratie. « Mon pays c’est ce dont la mer ne veut pas.  » Le Portugal giflé par un poète et une bande dessinée pour le caresser.

Christophe Goby

Sur un air de fado, Barral, Dargaud, Paris, 2021, 160 pages, 22,50 euros.

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Auteur: lundimatin