Technoféodalisme. Un extrait du livre de Cédric Durand

Cédric Durand, Technoféodalisme. Critique de l’économie numérique, Paris, Zones, septembre 2020.

« Comme un millénial typique, constamment collée à mon téléphone, ma vie virtuelle a pleinement fusionné avec ma vie réelle. Il n’y a plus de différence. » (Judith Duportail [1]).

Un effet de transcendance immanente

La théorie de Zuboff est sous-tendue par la prémisse atomistique libérale d’un être humain libre et autonome. C’est précisément ce présupposé que Frédéric Lordon met en pièces dans Imperium en critiquant l’idée que le social n’est qu’un rassemblement d’individus fondamentalement souverains, ne se liant les uns aux autres qu’à titre volontaire. Reconduisant le parti pris holiste de la sociologie héritière d’Émile Durkheim, Lordon considère au contraire qu’il y a « une excédence du tout sur les parties » [2] :

Le social est nécessairement transcendance, quoiqu’une transcendance d’un genre très particulier : une transcendance immanente. Il n’est pas de collectivité humaine de taille significative qui ne se forme sans projeter au-dessus de tous ses membres des productions symboliques de toutes sortes, que tous ont contribué à former quoiqu’ils soient tous dominés par elles et qu’ils ne puissent y reconnaître leur « œuvre » [3].

Deux chercheurs travaillant respectivement pour Amazon et Microsoft, Brent Smith et Greg Linden, suggèrent que les Big Data participent d’une logique similaire :

Les recommandations et la personnalisation se nourrissent de la mer de données que nous créons tous en nous déplaçant dans le monde, y compris ce que nous trouvons, ce que nous découvrons, et ce que nous aimons […]. Les algorithmes ne sont pas magiques, ils partagent simplement avec vous ce que d’autres personnes ont déjà découvert [4].

Des productions symboliques qui émanent des individus mais…

Auteur : redaction
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