« Ténèbres qui font d'un bébé un assassin »

Les éditions Des femmes republient cette année le livre, épuisé, de Pinar Selek sur le service militaire en Turquie. Il est cette fois intitulé Le chaudron militaire turc, titre qui désigne de façon métaphorique ce lieu de fabrication d’une masculinité pas seulement violente, mais plus exactement structurée par l’obéissance aveugle aux injonctions à la violence. C’est bien cela que met en lumière l’enquête sociologique qui a été réalisée, selon un protocole astucieusement pensé et présenté dans le livre, auprès de 79 hommes. Et on imagine la fureur que les résultats, restitués dans l’ouvrage, ont pu susciter au sein des institutions dominantes de Turquie : ces hommes fiers, endurants, bien entendu hétérosexuels, qui communient dans l’amour du « phallus sacré » et la haine de toutes minorités, sexuelles ou ethniques, sont en réalité des « hommes rampants », comme l’explique Pinar Selek. Que l’institution militaire apprenne aux hommes l’obéissance, cela est connu ; mais plus que cela, la sociologue décortique le fait que « l’initiation à l’assujettissement » passe par « l’initiation à l’irrationalité » et produit finalement le « vide de la pensée » – car sinon, écrit-elle, comment pourraient-ils continuer à massacrer ? Au-delà de ce livre, il est important de le dire ici : c’est une des grandes vertus de la production de Pinar Selek – c’est-à-dire tout à la fois ses écrits et sa parole, son travail sociologique et ses engagements – que de réinjecter de la réflexion là où on voudrait annihiler la pensée et de faire sentir à tous et toutes le plein et la force de la vie, en dépit des mécanismes puissants, en Turquie comme ailleurs, qui produisent des assassins. Nous reproduisons ici la préface du livre, dont le titre nous touche tout particulièrement, alors que nous apprenions il y a dix jours la mise en liberté de l’assassin de Hrant Dink, tué en 2007…

La suite est à lire sur: lmsi.net
Auteur: Pınar Selek