Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélémy

On vient de commémorer le sinistre anniversaire du massacre des Algériens par la police de Papon – et du général de Gaulle, aussi, même si on l’oublie pudiquement. Certains ont fait remarquer qu’en ce 17 octobre 1961, « la police parisienne n’en était pas […] à son premier crime de masse ». En effet, « dix-neuf ans auparavant, les mêmes ou leurs prédécesseurs raflaient consciencieusement des milliers et des milliers de juifs qui, après le Vel d’Hiv, se retrouvèrent à Drancy, puis à Auschwitz ».

In memoriam Florian

L’une des caractéristiques de cette tuerie (on ne sait toujours pas précisément combien de personnes ont été assassinées cette nuit-là, et durant les semaines précédentes et suivantes, par la police française) est que les tueurs se débarrassèrent le plus souvent de leurs victimes en les jetant dans la Seine. Qu’est-ce qui ressemble plus à un corps (souvent déjà mort, ou grièvement blessé) précipité dans l’eau du haut d’un pont qu’un autre corps précipité, du haut d’un autre pont, dans le même fleuve ? Le bruit du plongeon et l’effroi qu’il suscite sont probablement les mêmes, que le crime ait lieu au XXe ou au XVIe siècle.

Autre similitude tout aussi macabre : on ne saura probablement jamais précisément combien de victimes furent ainsi immolées, et bien sûr on ne connaîtra jamais leurs noms – « on », je veux dire nous autres d’aujourd’hui et de demain, qui n’avons pas participé à ces horreurs, pas plus que nous ne participons, directement du moins, aux horreurs contemporaines que sont les noyades en Méditerranée. « Directement, du moins » : ce que je veux dire par là, c’est qu’il est des façons de contribuer indirectement à ces crimes, et c’est de taire ceux d’aujourd’hui, qui se produisent sous nos yeux (médias obligent) mais loin de nos regards et de nos cœurs (qui ne peuvent pas, bien sûr, « accueillir toute la misère du monde », comme disait l’autre), et c’est aussi d’oublier « tous ceux qui tombent », qu’ils soient huguenots à la Saint-Barthélémy, communards pendant et après la « semaine sanglante », Algériens le 17 octobre 1961.

« Historien, il faut avoir cette “sombre fidélité pour les choses tombées” », dit Jérémie Foa (p. 81), citant le Victor Hugo des Châtiments. J’ajouterai cette citation de Walter Benjamin, qui ne m’a jamais parue aussi juste que ces derniers jours, alors que je lisais Tous ceux qui tombent : « Seul un historien, pénétré qu’un ennemi…

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Auteur: lundimatin