Travail social : « Dans la période que nous traversons, il est urgent de sortir du silence et de la résignation »

Basta!  : Votre dernier ouvrage, Pour un travail social indiscipliné est « comme un hommage rendu au savoir-faire des travailleurs sociaux, dans un moment où ils sont particulièrement malmenés », dites-vous. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cet hommage était important ?

Anne Salmon : Cette idée de livre est née de nos rencontres quotidiennes avec des travailleurs sociaux qui viennent suivre notre master recherche en travail social au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers). Ce sont des personnes qui s’interrogent sur leurs pratiques et qui se demandent comment se positionner à l’égard des nouvelles commandes publiques devenues plus directives. Beaucoup d’entre elles se trouvent piégées dans des contradictions entre, par exemple, le temps prescrit pour faire leur travail dans le cadre des contraintes gestionnaires – une toilette en Ehpad, un entretien avec un usager, etc. – et le temps réel nécessaire à ces interventions en répondant aux besoins réels.

Le savoir-faire des travailleurs sociaux, pour une large part tiré de leur expérience au plus près des problématiques des personnes accompagnées, n’est pas du tout valorisé. Prenons un autre exemple : celui des éducateurs de rue. Ils ont une connaissance fine des jeunes et des quartiers, ils sont en contact permanent avec les habitants. Or, ils sont confrontés à des commandes très ciblées – par exemple le travail avec des préadolescents – qui ne correspondent pas nécessairement à ce qui serait utile aux populations avec lesquelles ils sont en constante relation.

Anne Salmon

Anne Salmon est philosophe et sociologue, professeur des universités au Cnam, responsable du master Recherche en travail social. Elle vient de publier chez Érès Pour un travail social indiscipliné, coécrit avec l’économiste Jean-Louis Laville.

©Aurélien Boudeau

Ces éducateurs spécialisés peuvent se sentir coincés, entre la commande institutionnelle et les demandes des jeunes ou des habitants. Ces contradictions sont paralysantes pour l’action et l’innovation. En fait, au lieu d’approfondir leurs savoirs ancrés et situés pour les améliorer, on les méprise. Aujourd’hui, ces professionnels sont dépossédés de leur créativité, notamment parce qu’ils sont confrontés à des dispositifs préconstruits, imposés par le haut et hors-sol par rapport au terrain. Beaucoup ne s’en satisfont pas et cherchent des solutions alternatives. C’est pourquoi il était important pour nous de valoriser et de sécuriser ces savoirs…

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Auteur: Nolwenn Weiler