Travailler avec ou après un cancer : un tabou ou un impensé ?

Depuis une vingtaine d’années, le 4 février marque la journée mondiale contre le cancer. Cette année, celle-ci intervient quelques jours après la prise de parole particulièrement remarquée du président-directeur général (PDG) de Publicis, Arthur Sadoun, qui a évoqué publiquement son cancer lors du Forum économique mondial de Davos, en Suisse.

Le patron français a lancé à cette occasion un « working with a cancer pledge », que l’on pourrait traduire par un « appel pour attirer l’attention les difficultés que les personnes confrontées à cancer rencontrent sur leur lieu de travail », en y associant d’autres dirigeants : ceux de Sanofi, L’Oréal, Meta, Pepsico…

Ces chefs d’entreprises puissantes s’engagent ainsi à lancer des initiatives luttant contre la stigmatisation des personnes touchées dans leurs entreprises. En désignant le cancer comme un « tabou », les dirigeants de ces grands groupes choisissent un angle d’attaque intéressant : ils (ré)interrogent la conception de la santé dans un monde du travail où il n’y a pas de place pour la maladie.

Désinsertion professionnelle

La question se pose en effet plus que jamais, après des années de progrès thérapeutique et à l’heure où les études épidémiologiques sur lesquelles s’appuie la Haute Autorité de Santé mettent en évidence une corrélation positive entre le fait de travailler et l’espérance de vie en santé cinq ans après un cancer.

Les recommandations cliniques vont en conséquence de plus en plus dans le sens de la poursuite de l’activité professionnelle (voir par exemple la recommandation « santé et maintien en emploi » de février 2019). Reste cependant un chantier important : celui de construire les conditions dans lesquelles le travail peut, de fait, constituer une ressource dans un parcours de santé.

Le risque de la désinsertion professionnelle reste actuellement très élevé : en France, les statistiques indiquent que près de 20 % des personnes ne sont plus en emploi 5 ans après la survenue d’un cancer). En effet, plus de 70 % des entreprises estiment avoir des difficultés à gérer le retour après un cancer (Institut universitaire de Toulouse).

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En France, dans l’entreprise, le « traitement » de la maladie est d’abord juridique : c’est l’arrêt de travail. Pour autant, les études disponibles ne signalent pas de tabou ; pour preuve : entre 83 % (enquête BVA/Institut national du cancer (INCa) de 2022) à 88 % des salariés ont parlé de leur maladie dans leur entreprise (enquête du Centre de cancérologie Léon Bérard à Lyon de 2018), à leurs managers et collègues en priorité. D’immenses progrès ont été réalisés dans ce domaine.

Marges de manœuvre

Alors, ce que le « working with cancer pledge » désigne comme un tabou – le cancer – ne serait-il pas plutôt un impensé : rendre possible, soutenable, le travail avec ou après un cancer ? Ce léger déplacement dans la formulation du plaidoyer en change pourtant la perspective : le problème n’est plus tant la personne ayant (eu) un cancer que la situation professionnelle qu’elle peut (re)trouver avec ou après la maladie.

L’objet de l’attention se déporte : il s’agit moins de « faire bouger » la personne (la remobiliser, lui redonner confiance, etc.) que de faire bouger sa situation professionnelle : trouver des marges de manœuvre, imaginer que le régime de performance attendu puisse bouger, que des « horaires en confiance » puissent permettre de faire coïncider mieux la variabilité de la capacité productive d’un jour à l’autre avec les exigences de l’activité, s’appuyer sur le collectif de travail, etc.

Mains Tenant Un Ruban De Papier Rose Pour Le Cancer Du Sein

Près de 20 % des personnes ne sont plus en emploi 5 ans après la survenue d’un cancer.
Ave Calvar Martinez/Pexels, CC BY-SA

En France, le cadre de référence disponible pour tenter de répondre à cette question est structuré aux intersections de plusieurs champs, dans le cadre du handicap et de l’obligation d’emploi, dans le cadre de la santé au travail et de la prévention de la désinsertion : il concerne donc quantité d’acteurs différents qui n’ont ni…

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Auteur: Pascale Levet, Professeure associée en sciences de gestion, IAE Lyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3