Travailler plus longtemps mais… dans quel état ? Le cas des éboueurs

La réforme des retraites du gouvernement, contre laquelle une mobilisation record a été enregistrée lors de la grève du 31 janvier, prévoit d’allonger à 64 ans et 43 années de cotisations les conditions de départ. Cependant, le projet, qui vise notamment à équilibrer financièrement le système, risque d’être voué à l’échec si la question de la santé au travail n’est pas abordée de manière renouvelée.

Pour que l’allongement substantiel de la durée de vie professionnelle puisse se concrétiser dans les faits, il s’agit notamment de passer d’une logique de réparation à une logique de prévention des maux du travail. Le projet du gouvernement comporte certes un volet pénibilité, mais les pistes présentées ne vont pour l’instant pas dans ce sens.

La gestion des ressources humaines (GRH) des organisations privées comme publiques est ainsi appelée à se saisir pleinement de l’enjeu : la question de l’état de santé doit s’intégrer dans le cadre les dispositifs « ordinaires » de GRH, que le législateur pourrait d’ailleurs outiller, faciliter, encourager.



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La soutenabilité du travail sur le long terme dépend de l’équilibre entre l’état de santé des travailleurs et l’exercice de leur métier, ce qui se traduit par deux questions : premièrement, l’état de santé d’un travailleur est-il compatible avec son métier à un instant t ? ; deuxièmement, le métier exercé influe-t-il sur l’état de santé du travailleur, et dans quel sens ?

Pour permettre aux salariés de satisfaire aux exigences légales de départ en retraite, en collaboration avec les spécialistes en santé au travail et en prévention, le gestionnaire va dorénavant devoir se poser ces questions tout au long de la carrière professionnelle du salarié, et cela dès le début de celle-ci, sans considération de l’âge du salarié.

Éboueurs à Marseille

Lorsque les ripeurs sont deux pour une tournée, chacun ramasse en moyenne 4,7 tonnes de déchets.
Wikimedia

12 238 pas

Dans un article publié récemment dans la revue Gérer et Comprendre, nous analysons l’état de santé des ripeurs, c’est-à-dire des éboueurs qui collectent les ordures ménagères à l’arrière des camions de ramassage.

Notre étude montre qu’un ripeur, lorsque la tournée de ramassage est faite avec deux personnes à l’arrière du camion, collecte les déchets pendant une durée moyenne de 401 minutes (presque 7 heures), bénéficie d’un temps de pause de 33 minutes, ramasse 4,7 tonnes de déchets, réalise 12 238 pas et parcourt au total 44,6 km à l’arrière du camion.

Le coût cardiaque, c’est-à-dire la différence entre la fréquence cardiaque au travail et celle au repos, est à 28,8 battements par minute. Or, le seuil supérieur qui caractérise une astreinte physique excessive est à 30 battements.

On comprend facilement que l’usure physique est très forte dans ce métier extrêmement contraignant, ce qui pose la question de la responsabilité du gestionnaire en termes de GRH et de santé au travail.

Le coût cardiaque élevé du monoripage

Cela pose aussi la question de la responsabilité des donneurs d’ordre, qui sont souvent des communes ou des communautés de communes pour la collecte des déchets. La responsabilité est d’autant plus forte lorsque le gestionnaire ou le donneur d’ordre, sous pression de la concurrence, envisage la pratique du monoripage, c’est-à-dire l’affectation d’un seul ripeur par camion.

Toutes les moyennes citées pour deux ripeurs se dégradent alors : 434 minutes de collecte, avec un écart-type à 90 minutes ; 26 minutes de pause ; 9,6 tonnes de déchets collectés ; 16 599 pas effectués ; 58,3 km en moyenne par tournée ! Le coût cardiaque bondit au-delà du seuil supérieur, jusqu’à 38,8 battements par minute.

Le métier de ripeur est probablement l’un des métiers les plus éprouvants, car il cumule nombre des difficultés contemporaines du travail : contraintes physiques et de temps, interactions avec les usagers, complexité des chaînes de responsabilité en matière de Qualité de vie au travail (QVT), etc.

Des réponses déjà élaborées

Pourtant, un travail…

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Auteur: Jean-Yves Juban, Professeur de sciences de gestion, Université Grenoble Alpes (UGA)