« Traverser l'invisible »

Comme l’envers intimiste d’une époque arrogante à en crever, ce livre sagace et passionnant que publie l’Atelier contemporain : Traverser l’invisible. L’anonymat existentiel constitue cet invisible, par le biais de deux photographes américaines remarquables à la fois par les autoportraits qu’elles se sont appliquées à réaliser et pour l’extrême discrétion qui était la leur. Une discrétion douloureuse quand elle débouche sur le suicide à 22 ans de Francesca Woodman, une discrétion principielle quand Vivian Maier choisit de ne pas développer une bonne partie des rouleaux de pellicule qu’elle impressionne, sachant qu’elle travaille comme nourrice et ne cherche à aucun moment à exposer ses photos, des milliers de clichés retrouvés après sa mort dans une vente à l’encan par un jeune homme curieux et vite enthousiaste.

C’est l’historienne de l’art Marion Grébert qui saisit pour nous ces deux trajectoires et les inscrit aussi bien dans l’histoire récente du féminisme et de la disparition de l’espèce humaine que dans une problématique renouvelée de la photographie considérée comme instance du réel et de l’irréel à la fois.

« Il n’existe pas de tranquillité plus grande que celle que l’on éprouve soudain lorsque l’on s’imagine renoncer en soi-même à tout désir de laisser la moindre trace. »



La première phrase du texte pose d’emblée le questionnement même qui entraîne tout le développement de la réflexion, où se mêlera le sensible des apparences à l’impossible reproduction des mêmes conditions d’existence, jusqu’à anticiper la finalité de l’histoire par l’effacement de soi, le geste convulsif de l’instantané photographique.

Par un mouvement qui sonne juste, Marion Grébert rapproche de ces deux artistes femmes une troisième personnalité, Emily Dickinson, poétesse fertile et taiseuse dont l’œuvre et la vie nous sont peut-être davantage familiers.

« Je ne sais pas d’où me vient que je m’intéresse surtout à des êtres dont l’énigme de leur vie stimule l’écriture tout en semblant se dérober constamment à la biographie. »

Que l’artiste s’attache à ce point, comme ce fut souvent le cas de Vivian Maier, à ne pas voir ce qu’elle réalise, puisqu’elle gardait si souvent secret le résultat de la prise de vue, choisissant non seulement de ne pas montrer, mais de ne pas elle-même vérifier le miracle positif qu’elle avait pourtant recherché, c’est là aussi toute la soumission et l’enfermement de la femme qui se révèlent dans un paroxysme accusatoire, peut-être sacrificiel – Marion…

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Auteur: lundimatin