« Tribune des généraux » : LCI et la construction sondagière de « l'opinion publique »

Mais de quoi parle-t-on ? Le 21 avril, Valeurs actuelles publiait une tribune-pétition signée par « une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires ». Soutenu dès le lendemain par Marine Le Pen (qui appelle dans Valeurs actuelles ces militaires à la rejoindre), ce texte fustige le « délitement qui frappe notre patrie ». Il parle de « guerre raciale » que mèneraient des « partisans haineux et fanatiques » tenants d’« un certain antiracisme », avant de désigner « l’islamisme et les hordes de banlieue ». Les militaires formulent l’injonction au pouvoir politique de procéder à « l’éradication de ces dangers » avant de brandir la menace d’une intervention militaire : « Nous, serviteurs de la Nation, […] ne pouvons être devant de tels agissements des spectateurs passifs. […] [S]i rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active ». Menace séditieuse redoublée à la fin du texte : faute d’action, « la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers. »

Il faut souligner combien cette tribune fut d’abord superbement ignorée par les grands médias. Sa conversion en un « sujet » à part entière, réellement digne d’intérêt, tient surtout au fait que le gouvernement ait finalement décidé de l’inscrire à son agenda. Il a fallu donc attendre près d’une semaine pour que l’appel des généraux soit « porté au débat » dans les grands médias, et plus précisément, indexé dans le catalogue des « polémiques » médiatiques. Aussi est-ce en guise de contribution à « l’information » que LCI a décidé de sonder l’opinion sur cette tribune, en confiant cette tâche à l’institut Harris Interactive.

Le sondage est exemplaire de la production de ces « artefacts dépourvus de sens » dont parle Pierre Bourdieu dans sa conférence « L’opinion publique n’existe pas ». Réalisée sur un échantillon de 1 613 personnes, l’étude comporte un préambule édifiant : les sondés sont d’abord interrogés sur leur connaissance du dossier – ont-ils « entendu parler » de la tribune publiée par Valeurs actuelles ? 36 % des sondés répondent négativement et 26 % déclarent qu’ils « ne voient pas précisément ce dont il s’agit ». Autrement dit, une majorité de sondés…

La suite est à lire sur: www.acrimed.org
Auteur: Pauline Perrenot Acrimed