Ukraine : trois scénarios de rupture

Faut-il se préparer au pire ? Pour l’Ukraine ? Pour la Russie ? Et pour l’Europe tout entière ? Si le pire n’est jamais certain, le « déjà-vu » n’est pas nécessairement le plus probable. Avec ce conflit hautement évolutif, il ne faut exclure ni les ruptures majeures, ni les catastrophes inattendues. La guerre en Ukraine n’est pas finie. Mais rien ne dit qu’elle continuera comme elle a commencé.

Un an après le début de l’invasion russe, plusieurs scénarios probables se profilent (nous les avons détaillés) : celui d’une reconquête par l’Urkaine de la partie est de son territoire ; celui de succès russes tangibles dans le sud et le nord du pays ; enfin, celui d’un conflit non résolu mais meurtrier de grande ampleur déstabilisant durablement la sécurité collective européenne.

Ces scénarios probables n’épuisent pourtant pas le champ des possibles.

Des scénarios de rupture doivent être également envisagés, sur un mode exploratoire, car la guerre d’Ukraine a multiplié les surprises tactiques et stratégiques : l’offensive russe a surpris les états-majors européens ; la résistance ukrainienne a pris de court les autorités russes ; l’unité européenne a battu en brèche les anticipations, etc. La guerre en Ukraine ne demande pas seulement la prospective des évolutions probables ; elle exige l’anticipation des ruptures possibles.

Le scénario Mannerheim ou la partition forcée de l’Ukraine

La hiérarchie militaire de Moscou estime au départ que quelques jours suffiront pour obtenir une victoire totale. Son attaque, visant à récupérer un ancien territoire de l’empire tsariste, lui vaut une très large condamnation internationale. La guerre est dure, la résistance adverse très déterminée. Malgré un bilan humain, économique et diplomatique très lourd, Moscou réussit à faire main basse sur une partie du territoire adverse.

Ce scénario est « bien connu » en Russie : c’est celui de la guerre de Finlande, il y a presque 85 ans.



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Lors de la guerre d’Hiver (novembre 1939 – mars 1940), l’URSS avait attaqué la Finlande, laquelle avait obtenu son indépendance de la Russie fin 1917, peu après la prise du pouvoir par les bolcheviks. L’agression soviétique fait suite à l’échec de la négociation soviéto-finlandaise au sujet de la création d’un espace tampon protégeant la ville de Saint-Pétersbourg ; elle découle également du Pacte Molotov-Ribbentrop, qui faisait entrer la Finlande dans la zone d’influence soviétique.

L’agression soviétique avait provoqué l’exclusion de l’URSS de la Société des nations. En dépit d’une résistance acharnée, à un contre quatre, et parfois bien moins, et du fait de l’épuisement de stock de ses munitions, Helsinki fut contrainte de céder une région essentielle de son territoire, la Carélie. La conclusion du Traité de Moscou, signé à l’issue d’une guerre terrible et meurtrière, doit beaucoup à l’autorité du maréchal finlandais Mannerheim, qui a appelé ses troupes à accepter de douloureuses concessions, lesquelles devaient néanmoins confirmer la souveraineté et l’indépendance de la Finlande.

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Certains cercles dirigeants de Kiev sont-ils en train de préparer l’opinion nationale à perdre une partie du territoire du pays afin d’éviter un alourdissement du bilan humain pour les Ukrainiens, ce qui correspondrait à une sorte de « moment Mannerheim » ?

En décembre, le chef d’état-major des armées Valeri Zaloujny a demandé aux Occcidentaux de fournir à l’Ukraine dès que possible 300 chars, 600-700 véhicules de combat d’infanterie et 500 obusiers. En dépit de l’annonce de la livraison des chars Leopard de fabrication allemande, des Abrams américains et des Challenger 2 britanniques, il n’est pas certain que ces armes soient livrées à temps pour contenir une nouvelle offensive russe. En outre, une diversité de matériels engendre pour une armée des difficultés logistiques : les besoins ne sont pas les mêmes ; l’approvisionnement en pièces détachées est plus compliqué à organiser ; le temps de…

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Auteur: Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po