Un – autre – marqueur des inégalités de genre : l’humour des femmes au travail

L’humour est présent dans toutes les sphères de la société. Le milieu du travail n’y échappe bien sûr pas. Son usage y est cependant un marqueur social et de genre très puissant.

La revue de la littérature montre que les femmes subissent, dans ce domaine comme dans bien d’autres, un double standard : ce qui est perçu comme valorisant pour un homme est parfois perçu comme dévalorisant pour une femme. Afin d’analyser comment les femmes dirigeantes utilisent l’humour sur leur lieu de travail, j’ai réalisé, avec ma collègue Catherine Patry, 13 entretiens approfondis avec des femmes dirigeantes. Professeure au département de management, je m’intéresse aux questions de leadership et de diversité.

Nos résultats, publiés dans la revue Communication et management, montrent la diversité des usages de l’humour par les femmes dirigeantes sur leur lieu de travail. Certaines se l’interdisent strictement. La plupart l’utilisent en étant extrêmement attentives à la situation dans laquelle elles se trouvent. Toutefois, quelques-unes affirment l’utiliser volontiers. Ces résultats permettent d’identifier les conditions qui rendent possible l’usage de l’humour par les femmes dirigeantes sur leur lieu de travail.

La littérature a identifié depuis longtemps des bénéfices à l’usage de l’humour en organisation.

L’humour peut faciliter la gestion du changement, améliorer le bien-être au travail, la rétention des employés ainsi qu’entretenir la cohésion de groupe. Il peut aussi faciliter l’apprentissage et la créativité. Fait intéressant, l’humour peut être un bon outil pour réduire la distance hiérarchique et atténuer l’ennui (Cruthirds et al., 2013).

Les cinq types d’humour au travail

Pour autant, nous ne faisons pas toutes et tous usage de l’humour de la même manière. Des recherches ont permis d’observer que les hommes et les femmes n’utilisent pas tous les cinq styles d’humour identifiés par Eric Romero et Kevin Cruthirds en 2006.

L’humour n’est pas non plus perçu de la même manière selon le genre.

L’humour affiliatif permet de créer la cohésion de groupe en facilitant les relations sociales et en créant un environnement de travail positif. Aucune surprise : cet humour est souvent associé et utilisé par les femmes car il renvoie à leurs caractéristiques stéréotypées comme le « care », le soutien, l’inclusion et la coopération.

L’humour d’auto-promotion est autocentré et vise à améliorer sa propre image. Il est davantage associé aux hommes.

L’humour agressif vise la domination, la victimisation, l’intimidation et le dénigrement. Les chercheurs ont observé que les hommes utilisent également davantage ce type d’humour, et ce quelles que soient leurs origines culturelles, renforçant ainsi un stéréotype de genre.

L’humour semi-agressif, version sarcastique moins violente que la précédente, est une stratégie de contournement pour exprimer un désaccord, des messages déplaisants. Ces stratégies sont souvent associées aux stéréotypes masculins.

L’autodérision est un style d’humour qui crée des émotions positives tout en s’efforçant d’obtenir l’assentiment des autres. Dans les organisations, ce style d’humour est utilisé pour réduire l’écart hiérarchique et améliorer la perception d’accessibilité. Femmes et hommes sont coutumiers de ce type d’humour mais avec des conséquences différentes pour les unes (négatives) et les autres (positives).

Il n’y aurait donc pas que des bénéfices à l’usage de l’humour en organisation . Certains dirigeants l’utilisent pour rappeler leur rang et leur pouvoir aux autres.

Il est aussi un révélateur des ambiguïtés et des tensions de la culture organisationnelle. Par exemple, trop d’humour agressif ou semi-agressif peut même indiquer que des infractions à l’éthique sont acceptables.

L’usage de l’humour : un révélateur des inégalités de genre

Dès 2004, il a été mis en lumière le fait que l’humour en tant que marqueur des relations de pouvoir dans l’entreprise, renforce d’autant plus les inégalités entre les hommes et les femmes).

En effet, par le phénomène d’internalisation des normes sociales de genre, les femmes ont très vite compris qu’elles n’auraient pas intérêt à user de l’humour agressif. En effet, le risque de décrédibilisation serait trop important pour elles, car…

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Auteur: Pénélope Codello, Professeure de Management, HEC Montréal