Jean-Léon Gérôme. — « La Danse pyrrhique », avant 1890.
Les défenseurs de la vie privée volent de victoire en victoire en ce début d’année 2021. Alphabet, la maison mère de Google, a ouvert le bal en annonçant en mars dernier que son moteur de recherche arrêterait de pister les utilisateurs individuels lorsqu’ils visitent des sites. Cette résolution s’inscrit dans une campagne plus générale visant à se débarrasser progressivement des cookies tiers, une technologie ancienne mais controversée, de plus en plus accusée d’être responsable du laxisme qui caractérise la culture actuelle du partage de données.
Lire aussi Ignacio Ramonet, « Le choc “Loft Story” », Le Monde diplomatique, juin 2001.
Au lieu de suivre les utilisateurs individuels au moyen de cookies, Alphabet les regroupera désormais automatiquement en cohortes fondées sur une similarité de comportement (machine learning, apprentissage automatique). Ce sont ces cohortes, et non plus les individus, qui seront ensuite visées par les publicités. Alphabet aura bien sûr besoin de données pour placer les utilisateurs dans la cohorte appropriée, mais l’idée est que les annonceurs, de leur côté, n’auront plus besoin de toucher au navigateur de l’utilisateur.
Le secteur dans son ensemble se repositionne. Fin avril, Apple a introduit une mise à jour importante dans son système d’exploitation, qui réorganise la manière dont les développeurs d’applications externes comme Facebook pistent ses utilisateurs. Ces derniers doivent désormais donner explicitement leur accord pour autoriser la collecte de leurs données. Initialement, le célèbre réseau social s’était opposé à ce changement, mais il a depuis revu sa position, promettant même de développer des technologies de publicités « permettant de renforcer le respect de la vie privée » qui reposeraient sur « une moindre quantité de données [personnelles] ».
Ne s’agit-il pas là d’une victoire à la Pyrrhus, du moins si l’on considère le projet démocratique dans son ensemble ? Faute de comprendre précisément le pouvoir politique de l’industrie technologique, les plus fervents défenseurs de la vie privée ont l’habitude de rappeler les grandes compagnies à l’ordre en invoquant leurs permanentes violations des législations existantes sur la protection des données.
Une telle stratégie présuppose que ces transgressions légales perdureront à l’infini. Maintenant qu’Alphabet — et peut-être bientôt…
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Auteur: Evgeny Morozov