Utilité publique : « On fonctionne avec un logiciel très vieux qui dit que tous les grands projets sont bons »

basta! : En lisant votre ouvrage Inutilité publique, on peut arriver à la conclusion que les enquêtes d’utilité publique, conduites pour tout « grand projet » d’infrastructure et d’aménagement, ne servent à rien puisque les projets se font de toute façon. Les enquêtes d’utilité publique ne seraient-elles que des farces ?

Frédéric Graber est historien au CNRS. Ses travaux portent sur l’histoire environnementale des mondes contemporains, la gestion de l’eau, l’administration des populations et les formes d’action collective.

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Frédéric Graber : C’est plutôt un rituel. Les enquêtes d’utilité publique ont une fonction politique importante dans notre société : elles sont là pour dire que quelque chose est juste, même quand c’est en fait très problématique. C’est une manière de solder un débat qui n’a pas vraiment lieu. Pour chaque projet d’infrastructure, il va y avoir des gagnants et des perdants. D’une certaine manière, il faut justifier que, même s’il y a des perdants, au moins c’est juste. C’est à cela que sert l’utilité publique. Ce sens de l’utilité publique vient de l’Ancien Régime, où les projets se faisaient selon des privilèges, c’est-à-dire des droits que certains ont et d’autres pas.

« Pour chaque projet d’infrastructure, il va y avoir des gagnants et des perdants. Il faut justifier que, même s’il y a des perdants, au moins c’est juste. »

On peut avoir l’impression que c’est grotesque, mais je ne crois pas que ça soit le cas. Nous vivons avec beaucoup de fictions politiques, c’est assez normal. Ensuite, c’est une question de degré. Est-ce que cette fiction tient un peu, beaucoup, pas du tout ? Je crois que dans le cas de l’utilité publique, elle a tenu très longtemps, mais dans le contexte de crise environnementale actuelle, elle ne tient plus du tout.

Vous dressez une continuité entre ce type d’enquêtes telle qu’elles pouvaient avoir lieu sous l’Ancien Régime et la situation actuelle. À partir de quand est apparue cette « fiction politique » selon laquelle l’enquête d’utilité publique est un lieu de débat ?

La question du débat va se régler dans les années 1820, après la chute du régime napoléonien. Il y a deux moments de restructuration de l’enquête publique avant ce moment-là. Le premier est lié à la Révolution française. Après la Révolution, on ne peut plus justifier les projets par des privilèges car, en théorie, on a une égalité civile, on ne peut donc pas continuer à…

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Auteur: Rachel Knaebel