Violences en manifs : « L'État donne carte blanche à la police »

Paul Rocher est économiste et diplômé en science politique de Sciences Po Paris. Il est l’auteur du livre Que fait la police ? (2022) et de Gazer, mutiler, soumettre — Politique de l’arme non létale (2020), aux éditions La Fabrique.


Reporterre — De nombreuses violences policières ont été constatées lors des dernières manifestations contre la réforme des retraites et du rassemblement à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Comment l’expliquez-vous ?

Paul Rocher — J’aurais tendance à répondre par des données pour décrypter la situation actuelle. D’un côté, on a une nette augmentation de l’utilisation d’armes non létales (lanceurs de balles de défense en caoutchouc — LBD, grenades assourdissantes, lacrymogènes, grenades de désencerclement…) de la part des policiers depuis 2009 : selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, on est passé de 3 700 tirs cette année-là au record de 33 000 en 2018. En 2020, plus de 10 000 tirs d’armes non létales ont été recensés, de quoi toucher chaque habitant d’une ville de la taille de Foix (Ariège), par exemple. De l’autre côté, on s’aperçoit qu’il n’y a pas nécessairement plus de violence de la part des manifestants, comme l’explique un rapport de l’Acat [Action des chrétiens pour l’abolition de la torture] publié en mars 2020. En résumé, si les manifestations ne sont pas plus violentes, les tirs, eux, sont bien plus nombreux.

Avec les armes non létales (par définition, qui n’ont pas d’effet mortel ou définitivement handicapant), on transmet aux policiers l’idée que leurs tirs sont inoffensifs. On les déresponsabilise des conséquences de leurs actes. Or, ces tirs peuvent être dangereux. Des médecins de l’université de Grenoble ont mis en évidence en 2016 que le flash-ball pouvait être mortel.

À Sainte-Soline, les moyens déployés étaient gigantesques le 25 mars dernier. Les dégâts humains aussi. Comment expliquer un tel bilan ?

Au cours de la dernière décennie, l’État a nettement augmenté le financement de la police, notamment pour renforcer son équipement. Entre 2012 et 2017, le budget a été augmenté de 75 %. Aujourd’hui, il a probablement doublé par rapport à il y a dix ans. Donc, contrairement à une idée reçue, depuis trente ans, l’appareil policier a beaucoup grossi et la France est bien dotée en armes et en policiers. Ce qui explique la possibilité d’intervenir en très grand nombre lors de ce type de manifestation.

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Or, l’exemple de Sainte-Soline montre bien que l’usage des armes non létales n’apaise pas la situation. À l’inverse, elle incite les policiers et gendarmes à tirer encore…

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Auteur: Fabienne Loiseau Reporterre