Vivons-nous dans une ère de migration de masse ?

« Tsunami », « invasion », « débarquement », « grand remplacement » : au cours des dernières années, le discours alarmiste sur l’arrivée des migrants et demandeurs d’asile des pays du Sud s’est intensifié en Europe.

Face à cette menace que de nombreuses études montrent comme relevant de l’imaginaire, les politiques adoptées par différents gouvernements consistent à durcir les conditions d’admission des migrants et demandeurs d’asile originaires des pays du Sud. L’un des arguments utilisés pour légitimer cette politique est d’affirmer (sans la moindre preuve) que la régularisation des statuts des migrants sans-papiers et l’amélioration des conditions d’accueil des demandeurs d’asile créeraient un effet « appel d’air pour migrants » qui inciterait d’autres personnes à émigrer.

Couverture de Marianne, juin 2021.

Ce discours anxiogène d’origine médiatique ou politique a une grande influence sur le regard que portent les citoyens européens sur l’immigration. Il façonne et propage une image de l’immigration en grand décalage avec la réalité. À titre d’illustration, le public surestime ainsi largement le poids démographique de la population immigrée vivant dans son pays.

La vague 7 de l’enquête sociale européenne, administrée dans 20 pays européens entre 2014 et 2015 montre qu’en moyenne, les Britanniques, les Estoniens, les Français, les Hongrois, les Lituaniens, les Néerlandais et les Portugais pensent que la population immigrée vivant dans leur pays est deux fois plus importante que ce qu’elle représente réellement. Plus frappante encore est l’exagération de la présence des immigrés par les Polonais : ils en voient cinq fois plus qu’il n’y en a en réalité.

Poids démographique de l’immigration en pourcentage de la population : décalage entre la perception et la réalité

Poids démographique de l’immigration en pourcentage de la population : décalage entre la perception et la réalité.
Enquête Sociale Européenne, OCDE et calculs de l’auteur

En conséquence, de nombreux citoyens européens déclarent qu’ils sont en faveur de politiques très restrictives en matière d’immigration, notamment à l’égard de certaines catégories de personnes.

Interdire l’immigration des musulmans

Dans l’une de mes recherches, j’ai mis en évidence que 54 % des Tchèques et 51 % des Hongrois sont favorables à une interdiction totale de l’arrivée de migrants musulmans dans leurs pays. Des proportions relativement plus faibles mais néanmoins importantes parmi les Estoniens (42 %), les Portugais (33 %), les Espagnols (20 %), les Belges (19 %) et les Français (13 %) sont également pour un bannissement total de l’immigration des musulmans dans leurs pays. En moyenne, près d’un Européen sur quatre (24 %) souhaite un bannissement de l’immigration des musulmans dans son pays.

« I’m neither racist nor xenophobic, but : dissecting European attitudes towards a ban on Muslims’ immigration », Abdeslam Marfouk, 2019

L’étude montre également que le racisme et la xénophobie sont des facteurs déterminants de l’opposition des Européens à l’immigration des personnes de confession musulmane.

Un autre élément qui mérite d’être mentionné est que des proportions importantes parmi ceux qui veulent une interdiction totale de l’immigration des musulmans sont aussi pour un bannissement de l’immigration des Tsiganes (84 %), des personnes de confession juive (42 %), mais aussi de personnes issues de pays plus pauvre hors Europe (52 %), venant de pays plus pauvres d’Europe (40 %), d’une origine ethnique différente que la plupart des habitants du pays (39 %), de même origine ethnique que la plupart des habitants du pays (23 %).

Immigrés européens : l’amnésie ?

Pendant des siècles, les Européens ont émigré par millions vers le Nouveau Monde – Amériques et Australasie. Selon une estimation généralement admise, entre 1820 et la Première Guerre mondiale, 55 millions d’Européens ont quitté le continent. Leur destination privilégiée fut l’Amérique du Nord (pour 71 % d’entre eux).

L’historien Adam McKeown a estimé que le total…

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Auteur: Abdeslam Marfouk, Expert en migrations internationales, Université de Liège