Vladimir Poutine et le fiasco des services secrets en Ukraine

Quand la Russie a lancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine le 24 février 2022, Vladimir Poutine s’attendait sans doute à ce que cette « opération militaire spéciale » (selon l’euphémisme systématiquement employé par le Kremlin, qui réfute contre toute logique le terme de « guerre ») se solde par un rapide triomphe. Plus de huit mois plus tard, il n’en est rien : l’Ukraine s’est révélée bien plus déterminée – et bien plus soutenue – que le Kremlin l’avait prévu. Pour comprendre l’erreur d’analyse initiale de la direction russe, nous vous proposons ici un extrait du « Livre noir de Vladimir Poutine », ouvrage collectif dirigé par Stéphane Courtois et Galia Ackerman, qui paraît le 11 novembre aux éditions Robert Laffont/Perrin. Ce passage est issu d’un chapitre que l’historien Andreï Kozovoï (Université de Lille), auteur notamment de « Les services secrets russes », consacre à ce fiasco des services de renseignement dont Moscou n’a pas fini de payer le prix.


Début mars 2022, moins de deux semaines après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, plus aucun doute n’était permis : en lieu et place d’une entrée triomphale dans Kiev, sous les vivats de ses habitants, la glorieuse armée de Poutine fut mise en déroute, subissant de lourdes pertes. L’ombre de la guerre d’Afghanistan (1979-1989) commença à planer sur l’« opération militaire spéciale », les rumeurs allant bon train sur le fait que Vladimir Poutine, « intoxicateur » professionnel, avait lui-même été « intoxiqué ».

Au vu de l’humiliation, de nombreuses têtes devaient inévitablement tomber. En toute logique, Poutine aurait dû d’abord s’en prendre à Alexandre Bortnikov, le directeur du FSB, le Service fédéral de sécurité, et à Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de Sécurité qui, à en croire un ouvrage à paraître, l’auraient convaincu de privilégier la solution militaire en Ukraine. Poutine aurait dû s’en prendre au ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et au chef de l’état-major, Valeri Guerassimov, qui l’avaient rassuré en lui vantant « la grande expérience » des troupes russes. […] Les punir pour l’exemple et en public aurait cependant pu s’avérer contre-productif et constituer un aveu d’échec, alors qu’officiellement la Russie n’avait pas dévié d’un iota de son plan en Ukraine. Et puis, Bortnikov, Patrouchev, Choïgou et Guerassimov ont sans doute plaidé « non coupables » en clamant qu’eux aussi avaient été bernés par des rapports, fournis par les services secrets. Des rapports qui décrivaient l’armée ukrainienne comme non opérationnelle, Volodymyr Zelensky en bouffon sans réelle étoffe de président, et misaient sur un Occident désuni et passif, comme en 2014 après l’annexion de la Crimée.

Vladimir Poutine échange avec le ministre de la Défense Sergueï Choïgou (à gauche) et le chef d’état-major Valéri Guerassimov à Moscou, le 27 février 2022.
Alexey Nikolsky/AFP

Ces services de renseignement, rappelons-le, sont constitués de trois organisations principales : une militaire, connue sous son nom de la GRU (Direction principale du renseignement) –, placée sous le commandement du ministre de la Défense, mais en réalité de Poutine ; et deux organisations civiles dépendant directement du président de la Fédération de Russie, le SVR, Service de renseignement extérieur, et le FSB, Service fédéral de sécurité, chargé du contre-espionnage, mentionné plus haut.

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Contrairement aux services occidentaux, juridiquement encadrés et contrôlés, les services secrets russes forment l’ossature du système poutinien, l’alpha et l’oméga de sa gouvernance. Leur particularité est de ne pas seulement s’occuper du renseignement, de la collecte et de l’analyse d’informations, mais aussi de remplir des fonctions de police politique, de répression (voire d’élimination) des opposants et des « traîtres », dans la pure tradition soviétique. Les empoisonnements au Novitchok de l’ancien colonel de la GRU Sergueï Skripal, en 2018, et de l’opposant Alexeï Navalny, en 2020, sont…

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Auteur: Andreï Kozovoï, Maître de conférences HDR, Université de Lille