Voyages au cours de la nuit : qui sont les Français les plus concernés ?

Depuis les années 1980, les mobilités, notamment nocturnes, ont connu des bouleversements sociaux d’ampleur : l’essor du travail de nuit, la féminisation et la diffusion de la conduite automobile mais aussi la désynchronisation des emplois du temps en lien avec la multiactivité au sein des couples.

Différents travaux notent par ailleurs la reconfiguration des rythmes sociaux, qui tendrait à une « diurnisation » de la nuit. Ainsi, le sociologue américain Murray Melbin affirme que de plus en plus d’activités se déroulent la nuit, faisant l’hypothèse que :

« La nuit [est] comme une nouvelle frontière au sens où l’expansion dans les heures sombres serait la continuation de migrations géographiques. »

La nuit est-elle devenue un jour supplémentaire ?

Dans 24/7. Le capitalisme à l’assaut du sommeil, l’historien et critique Jonathan Crary postule quant à lui que les individus contemporains, seraient voués à passer leur nuit comme travailleurs et/ou consommateurs plutôt que comme dormeurs.

L’accélération propre aux sociétés contemporaines rendrait plus floue la distinction entre les temps diurnes et nocturnes ou entre la semaine et le week-end.

Les mobilités quotidiennes nocturnes permettent justement de discuter des thèses de la colonisation de la nuit et d’en comprendre les logiques de stratification sociale, si elles existent. La mobilité nocturne se diffuse-t-elle ? Qui sont les Français qui se déplacent nuitamment ? Leur visage a-t-il changé au cours des dernières décennies ?

Afin de répondre à de telles questions, nous exploiterons la série des enquêtes nationales transports réalisées par l’Insee (1981, 1992, 2007 et 2018). Chacune de ces enquêtes permet de saisir finement la mobilité quotidienne d’un échantillon représentatif d’environ 10 000 répondants. Nous proposons d’identifier un déplacement nocturne s’il a lieu entre 20h et 6h du matin, avec une tripartition de la nuit : la soirée (20h-0h) ; le cœur de la nuit de la nuit (0h-4h) ; la nuit avant l’aube (4h-6h).

Les mobilités nocturnes : des pratiques rares et spécifiques

Depuis les années 1980, les mobilités nocturnes restent rares et diffèrent sensiblement des mobilités diurnes. La fréquence et les motifs de ces mobilités mettent en lumière une tripartition de la nuit.

Observons tout d’abord la fréquence des déplacements nocturnes pour chacune des dates d’enquête (figure 1).

Figure 1. Distribution horaire des déplacements en 1981, 1993, 2007 et 2018. En 1981, sur 100 déplacements réalisés par les individus, 5,1 ont lieu entre 7 et 8 heures

Figure 1. Distribution horaire des déplacements en 1981, 1993, 2007 et 2018. En 1981, sur 100 déplacements réalisés par les individus, 5,1 ont lieu entre 7 et 8 heures.
Enquête sur les Transports 1981-1982, Enquête Transports et Communications 1993-1994, Enquête Nationale Transports et Déplacements 2007-2008 et Enquête Mobilités des personnes 2018.Champ : Ensemble des déplacements des individus, Fourni par l’auteur

La distribution indique une grande inertie. Elle met en lumière tout d’abord une nette tripartition de la nuit : la soirée, entre 20h et minuit voit se produire des déplacements de moins en moins fréquents, avec un niveau de l’ordre du point de pourcentage ; le cœur de la nuit, de minuit à 4 heures du matin, est une période de très rares déplacements ; enfin, la nuit avant l’aube, de 4 à 6 heures, connaît des déplacements peu nombreux, mais qui croissent avec l’avancée en heure. Ensuite, il faut noter de très faibles changements dans le volume et la distribution des déplacements nocturnes. Si, en 1981, 7,1 % des déplacements ont lieu la nuit, c’est le cas d’entre eux pour 9,2 % en 1993 ; en 2018, cette part est de 9,5 %. Il y a bien eu une augmentation, certes ténue mais réelle, des déplacements la nuit. Notons aussi que la distribution des déplacements au cours de la nuit ne varie que peu au fil du temps. Deux tiers des déplacements nocturnes se font avant minuit, quelle que soit la date d’enquête.

La thèse de la colonisation de la nuit semble donc à nuancer. Comment expliquer la faiblesse durable des déplacements nocturnes ?

Tout d’abord, il faut souligner simplement que la nuit est consacrée à d’autres activités, et typiquement, le sommeil. Le temps nocturne est majoritairement dédié au sommeil et à ses activités périphériques, même si elles connaissent des disparités sociales ainsi…

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Auteur: Yoann Demoli, Maître de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay