Wagner, mais pas seulement : les mercenaires ne sont pas près de disparaître…

L’histoire de la compagnie militaire privée (CMP) « Wagner » reste aujourd’hui un domaine exploré d’abord et avant tout par les journalistes. En termes d’études de terrain et d’observations empiriques, les chercheurs universitaires ne consacrent pas suffisamment de recherches à ce phénomène. Il est impératif de remédier à cet angle mort académique en étudiant les mercenaires russes avec la même rigueur que les autres acteurs de la vie politique et militaire internationale.

Un cadre d’analyse tronqué

Aujourd’hui, le récit médiatique tournant autour de Wagner, une compagnie militaire privée connue depuis 2014 pour ses liens étroits avec l’État russe, ne cesse d’être recyclé, parfois enrichi de personnages supplémentaires ou d’une anecdote nouvelle – mais sans percée analytique, travail que seul le monde universitaire peut réaliser.

Par exemple, le businessman russe Evguéni Prigojine, connu pour sa proximité avec Vladimir Poutine, a récemment reconnu être le fondateur et patron de Wagner, ce qui a donné lieu dans les médias à une avalanche d’articles qui ne nous ont finalement rien appris de substantiellement nouveau sur le fonctionnement ou l’organisation du groupe.

Les divers articles de presse consacrés à Wagner donnent également peu d’éléments sur les effets, pourtant profonds et complexes, qu’a la présence des mercenaires sur le tissu social et sur la gouvernance locale dans les territoires en guerre. On ne sait presque rien de la façon dont le groupe est perçu par les communautés résidant dans les zones où il agit.

De plus, la situation géopolitique actuelle, qui encourage une prise de parti « pour ou contre les Russes », déforme les cadres d’analyse et engendre des narrations unidimensionnelles. L’un des résultats de cette polarisation simpliste mais amère est l’illusion que la Russie finira bientôt par quitter l’Afrique, puisqu’elle aurait besoin de redéployer ses hommes, y compris ceux de Wagner, pour les besoins de sa guerre en Ukraine.

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Or la fragilité sociale croissante et les crises de légitimité politique qui se succèdent dans les pays africains où opère actuellement Wagner – par exemple, la RCA, le Mali, la Libye, le Soudan – créent un terreau favorable à l’expansion durable d’une nouvelle forme de CMP. Dans tous les cas, la « demande » à laquelle Wagner répond – celle des élites militaires locales pour des services sécuritaires sans contraintes vis-à-vis des droits humains – n’est pas près de s’estomper. En effet, une tendance générale vers un autoritarisme plus dur et moins contesté par les démocraties occidentales semble persister.

Wagner, une manifestation de la privatisation de la sécurité au niveau mondial

Par défaut d’approfondissement académique, la lecture actuelle reste focalisée sur les relations entre les États et, par conséquent, passe à côté de deux dynamiques importantes : la position des CMP russes dans un contexte marqué par la privatisation mondiale des services sécuritaires ; et les effets locaux de leurs opérations.

Or ces deux éléments ont une forte incidence sur la dynamique des conflits. Concernant Wagner, donc, il est urgent de se distancier du récit sur la compétition entre grandes puissances. La principale difficulté d’analyse ici réside dans le fait que les CMP russes, dont Wagner, mais aussi Patriot, Sewa Security Services, ou encore Shchit sont un produit de la politique intérieure du pays. Bien que protéiformes, elles restent toutes liées au Kremlin. La présence de ces forces semi-étatiques dans des pays en guerre, notamment l’Ukraine, la Syrie et la Libye, va de pair avec les intérêts militaires, politiques et économiques de la Russie.

Pourtant, en considérant Wagner du point de vue de la tendance générale de la privatisation de la sécurité, on se rend compte que le groupe n’est pas un phénomène isolé. Bien avant Wagner, en effet, deux autres compagnies avaient déjà transformé la privatisation de la guerre : Executive Outcomes (EO) et Blackwater.

Wagner dans la foulée d’Executive Outcomes et de Blackwater

En 1989, Eeben Barlow, un ancien lieutenant-colonel des forces de défense d’Afrique du Sud, a fondé…

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Auteur: Tatiana Smirnova, Chercheuse, Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix, Universitité de Québec à Montréal, Université du Québec à Montréal (UQAM)