Je me suis livré à un exercice un peu arbitraire qui n’aura probablement ni queue ni tête. Le Livre des Passages de Walter Benjamin n’est pas un labyrinthe, mais il n’est pas non plus un livre. C’est un compendium encyclopédique fragmenté de citations et de remarques. Cette a-structuration acéphale éclatée comme une ville européenne après le passage du feu de l’écrasite (la dynamite), ce puzzle textuel, nous propose donc de jouer avec ses débris. Walter Benjamin est mort en 1942. L’Europe d’après la pluie est en ruine. Il faut reconstruire. Commençons par ce beau passage parisien éventré que représente la liasse D [L’ENNUI, ÉTERNEL RETOUR] étalée de la page 126 à la page 144 du Livre des Passages. On l’aura compris, je vais jouer à écrire le texte manquant entre les restes. Je suis les citations dans l’ordre d’apparition, et j’imagine ce qu’un archéologue ou un ouvrier auraient pu en faire.
Jakob Van Hoddis demande : « Le soleil veut-il tuer tous les rêves ? ». Ces « rêves » qui pour lui sont des « enfants pâles » courant dans les ruelles du « quartiers » de ses « plaisirs ». Pour Hoddis, la lumière crue du jour détruit la fantasmagorie. C’est de la brume, des vapeurs, du fog, du smog et du blafard scintillant qu’elle se nourrit. Non de la pleine lumière. Les rêves sont des « visions nuageuses ». Panorama et Diorama qu’on voit aux Galeries et dans les Parcs ont « partie liée avec ce monde nébuleux ». Leurs images rayonnent sous ses vapeurs comme au travers « de rideaux de pluie ». François Porché distingue ainsi le Paris de Baudelaire du Paris de Verlaine. Le premier est « sombre et pluvieux », comme si Lyon s’était superposé à Paris. Le second est « blanchâtre et poussiéreux comme un pastel de Raffaeli ». L’un est « asphyxiant », l’autre « aéré ». C’est que Baudelaire a compris la puissance des forces cosmiques. Là où Verlaine s’y est tenu à l’écart. Car le temps qu’il fait est la manifestation des forces cosmiques. Mais l’homme vide et fragile n’en subit jamais que l’effet narcotique. L’influence intime et mystérieuse de ces forces cosmiques est devenue, pour lui, le thème des conversations les plus vides. « Rien n’ennuie autant l’homme ordinaire que le cosmos ». L’homme ordinaire établit un lien intime entre le temps qu’il fait et l’ennui. On connait l’histoire de l’Anglais spleenétique qui se réveille un matin et se brûle la cervelle parce qu’il pleut. Bel exemple…
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Auteur: lundimatin